La réanimation
Sara Piazza, psychologue en réanimation et en unité de soins palliatifs à saint Denis, a souligné que « la réa n’est pas une chance systématique » : « on ne privait pas de chance ceux qui n’allait pas en réa ». En tant que Présidente du comité local d’éthique de son hôpital, elle a été interpelée dans les services de médecine sur les décisions à prendre pour des patients vieux. L’autocensure des médecins de service de médecine était forte : ils s’interdisaient d’appeler la réanimation au titre de l’âge de la personne. « Alors que pour la réanimation, l’âge en tant que tel n’est pas un critère » souligne-t-elle.
Il lui fallait accompagner les réunions de décisions des services de médecine de l’hôpital de Saint-Denis pour lesquelles « il faut sortir du seul angle médical, ce qui ne leur est pas habituel ». Son habitude personnelle est alors de faire commencer le « tour de table en commençant par les paramédicaux ». « On savait déjà que c’était minimum 2 semaines d’intubation avec beaucoup de décubitus ventraux ». Et les para-médicaux savaient combien « c’est très violent pour la personne, avec des lésions cutanées sur le visage, le ventre, les jambes et des médicaments forts à supporter ». Cela ne parait pas toujours « supportable physiquement pour les vieux vieux, » . Il fallait « sensibiliser les équipes sur la pertinence de les passer en réanimation alors que les garder en salle avec oxygène autant que de besoin et suivi médical » s’avèrerait plus efficace.
La réanimation et la personne âgée
Olivier Lesieur, médecin réanimateur, a cité les travaux de Bertrand Guidet l’admission en réanimation des personnes âgées : « Les personnes âgées qui ne meurent pas en réa meurent très souvent dans les mois qui suivent : cela accélère le vieillissement » et il ajoutait : « plus on est âgé plus on est victime de réanimation indue , c’est-à-dire qu’on aurait pu faire autrement » (notamment les techniques d’oxygénation). Pour cette crise sanitaire de Covid 19 « on peut même dire c’est de ne pas avoir été intubé qui les a sauvé ces personnes âgées. »
Selon diverses études de Bertrand Guidet « 20% des personnes âgées aux USA viennent en réanimation le dernier mois de leur vie. Mourir en réa est-ce bon ? » interrogeait Olivier Lesieur qui constatait qu’ « on ne pose la question (de choix) en réanimation qu’à la moitié des patients qui y vont » et que « l’avis médical et l’avis du patient sont souvent divergents ».
Tri ou discrimination ?
Sara Piazza a souligné que « le tri à l’hôpital c’est tout le temps, même sans covid », « Au mois d’août on a moins accès en réanimation ou ailleurs qu’en pleine saison de personnel » et que c’est aussi le tri « de la non admission quand la personne n’a pas de statut administratif ou est sans papier ».
Olivier Lesieur : « du tri on en fait tout le temps ». « Il faut faire la différence entre le pronostic (personnel) et la pronostication : que va devenir mon patient (selon étude épidémiologique) ». Comme il y a des « intermédiaires entre simple surveillance et intubation »…il soulignait que « c’est un critère de proportionnalité de l’engagement thérapeutique. »
Lors du débat une participante argumentant que « Le tri fait partie du soin. Mais aussi on doit trier pour des raisons matérielles… » a interrogé sur la politique de santé : « s’il y avait eu assez de lits est ce que cela aurait changé un peu les choses ? ». Sara Piazza a répondu pour le « côté psy sans le politique : cela m’évoque la question du prélèvement d’organe. En fait les gens meurent parce qu’ils sont malades, pas à cause d’une pénurie de greffon. Quelles que soient nos représentations de ressources qui devraient être illimitées, c’est de la croyance en la toute puissance médicale. »
Sara Piazza a complété par la suite : « pour l’impuissance des familles, moi dans ma pratique clinique à Saint-Denis, la discrimination c’est pas les vieux, c’est la précarité et l’intégration sociale. » « Les familles ont réagi comme en temps normal. Pendant le Covid, ça a flambé. Une flambée de défiance avec des arrêts de soins de réanimation vécus de façon catastrophique par les familles. » « En conséquence des gens n’ont pas emmené leurs proches à l’hôpital : Ils ont pensé qu’on avait arrêté de soigner par manque de place, de respirateur… On ne se rend pas compte des implications cliniques que cela peut avoir… »
Déterminer le légitime et le déraisonnable
Olivier Lesieur a longuement traité des difficultés de discernement pour une équipe médicale entre « l’admission déraisonnable qui ne doit pas se faire « et la « persévérance légitime » des soins. Ces équipes sont aidées par un protocole (dit algorithme décisionnel) qui indique des recommandations générales sans édicter d’obligations pour accompagner une réflexion médicale qui doit s’interdire « la décision solitaire ». Il a cité celui de l’université de Pittsburg « créé longtemps avant » cette crise sanitaire, basées sur des « critères spécifiques, validés », impliquant « un comité de triage ».
Cette réflexion n’interdit pas selon Olivier Lesieur la réanimation d’attente qui consiste à « privilégier le patient urgent si l’autre peut attendre un peu » pour « se donner du temps de voir et arrêter si n‘est elle pas bonne pour le patient ».
Parmi les critères à prendre en considération pour décider de l’admission en réanimation, Olivier citait « le principe du cours de la vie » c’est-à-dire sauver le plus d’années de vie, la « notion de qualité de vie en bonne santé » qu’il juge problématique, car jugé par autre que le patient, et la « disponibilité des ressources à un temps donné ». Il a critiqué enfin le critère « privilégier les soignants ».
L’admission en réanimation des personnes âgées a fait l’objet de travaux approfondis qui ont donné lieu à une communication publique en 2017 . Elle ne concluait pas au bénéfice de l’admission systématique en réanimation. Cet essai avait comparé la mortalité à 6 mois de 3000 patients graves âgés de plus de 75 ans arrivant aux urgences de 24 hôpitaux de France.
Pour aller plus loin
Enregistrement complet du séminaire "Touche pas à nos vieux !" du 22 janvier 2021 avec pour invités Sara Piazza (psychologue clinicienne) et Olivier Lesieur (médecin réanimateur).
https://www.youtube.com/watch?v=fYX7LAATEec
Les travaux de Bertrand Guidet sur l’intérêt de l’admission en réanimation des personnes âgées https://www.eyrolles.com/Sciences/Livre/personnes-agees-et-reanimation-9782817802862/
com presse de l’Hphp https://www.aphp.fr/contenu/reanimation-des-patients-ages-les-resultats-de-lessai-icecub-2
Pour évoquer l’impact de la réanimation sur la personne hospitalisée, Olivier Lesieur a évoqué Matthieu Blanchin auteur d’une bande dessinée, « Quand vous pensiez que j’étais mort » : « c’est 176 pages de récit de ce que c’est d’être en réanimation ». ( un extrait à la diapositive 12/24) https://livre.fnac.com/a7730601/Matthieu-Blanchin-Quand-vous-pensiez-que-j-etais-mort